Tahiti ou Les Limbes du Pacifique
Rédigé le 20 Décembre 2016
Première partie : Le club des ex
Ia ora na, la gang,
La Direction de la Santé de la Polynésie Française m’a invité à Tahiti pour parler du bien-être au travail. Pourquoi moi en particulier me demanderez-vous, dans l’espoir de savoir comment vous y faire inviter vous aussi ? Parce que nous avons un bureau qui a décidé d’avoir une structure différente du modèle traditionnel comptable et surtout parce que des textes comme celui-ci voyagent, même à 26 heures de vol d’avion.
J’ai accepté l’invitation presque sur-le-champ, en pensant moi-même à mon propre bien-être de quitter les premières neiges pour les îles du Pacifique. Mon allocution portait essentiellement sur trois points :
1) L’impact du bien-être au travail
2) L’importance d’instaurer une culture saine de travail
3) Le leadership
La Polynésie française doit composer avec un problème majeur d’embonpoint. On dit que 70% de la population active est en surpoids et près de 40% souffrent d’obésité (contre 32% pour les États-Unis). Le Polynésien, en plus d’avoir naturellement une charpente robuste, à la The Rock, aime bien sentir ce que celui-ci cuisine, et c’est plutôt gras et sucré.
La Direction de la Santé publique œuvre depuis une année à inciter les entreprises et la fonction publique à prendre des initiatives pour contrer ce fléau. Ils doivent composer avec le choc d’une culture locale très grégaire et l’héritage de structures de travail françaises : hiérarchie prononcée, chaîne de commandement axée sur le contrôle, avec une touche d’honneur gaulois sur les manières de faire.
La présentation durait 2 heures et demie, dans mon style habituel de conversation : un long soliloque clairsemé d’apartés, de notes de bas de page et d’anecdotes. J’ai tiré à boulets rouges sur ce qui m’apparaissait crucial dans la gestion du bien-être au travail en espérant toucher au passage les quelques gestionnaires qui composaient la salle. Pour cette dernière raison, je ne retranscrirai pas le verbatim de la conférence ici, mais j’en profiterai quand même pour dresser quelques points importants que je crois bon de répéter.
Première partie : Impact du bien-être
Le club des ex
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire du management qu’on met l’emphase sur le bien-être au travail. Une structure de travail décentralisée doit absolument maximiser l’engagement de ses employés envers l’entreprise. De plus, la responsabilisation des employés oblige de passer par un alignement des intérêts avec ceux de l’entreprise, et une attention particulière aux besoins des individus (autre que la rémunération) semble se détacher comme la façon la moins coûteuse et la plus durable d’y accéder.
C’est le principe de la galère contre le Va’a, la pirogue polynésienne. La coercition et le contrôle sont le meilleur moyen de faire avancer un bateau quand les employés ne sont pas motivés ni bien nourri, et qu’ils souffrent de dysenterie. Une équipe de Va’a, pourtant, n’a besoin que de la direction ; elle peut démontrer des performances impressionnantes seulement grâce à la motivation intrinsèque des rameurs.
Pour arriver à avoir une équipe de rameurs motivés, on cible quelques grands axes qui permettront d’analyser si la main d’œuvre est susceptible de contribuer à l’entreprise de façon positive et dynamique, sachant que les entreprises qui démontrent un engagement plus élevé que leurs pairs affichent une productivité plus élevée de 21%. Ce sont des statistiques que j’emprunte à l’excellent outil de mesure de l’engagement des employés, Officevibe, que nous utilisons à l’interne. Voici les métriques qui sont analysées:
- Croissance personnelle
- Reconnaissance
- Relation avec les collègues et les gestionnaires
- Bonheur
- Rémunération et Carrière
- Sentiment d’appartenance
- Feedback
- Santé
- Alignement avec l’entreprise
Travailler sur ces axes permettra à l’entreprise de réduire son taux d’absentéisme, augmenter la productivité, diminuer le taux de roulement de son personnel et de façon plus informelle, augmenter la réactivité et la créativité de l’organisation.
Même si cet aspect de l’entreprise était important hier, il le devient de plus en plus pour quelques facteurs liés à l’accélération des nouvelles technologies : la tâche à valeur non ajoutée se fait remplacer par l’ordinateur et les environnements sont encore plus mouvants. Les nouveaux emplois que la robotisation amène demanderont plus d’éducation des salariés, mais surtout une adaptabilité au changement de plus en plus grandissante. Chez Le Chiffre, c’est d’ailleurs un des critères les plus importants d’embauche : êtes-vous capables de vous adapter rapidement, puisque vous ne ferez pas le même travail pendant 30 ans ?
Donc, les entreprises auront accès à une main d’œuvre plus éduquée et plus apte à se diriger par elle-même. Elles auront aussi un besoin de réactivité auquel les structures basées sur le contrôle ne répondent pas.
La relation employée évolue comme la relation client, les entreprises qui auront du succès ne peuvent pas gérer leur main d’œuvre comme s’il s’agissait d’une pure transaction commerciale (le labeur contre une rémunération). À l’instar d’Apple ou de Tesla avec leurs produits, l’organisation qui vise l’excellence souhaite créer une adhérence de sa main d’œuvre à la raison d’être de la compagnie, mais aussi la traiter comme des adultes compétents et responsables.
Les trois ex (et je ne parle pas de Liza Frulla, J-P Charbonneau et Marie Grégoire)
L’expérience
On parle de la formation, mais aussi de l’expérience acquise au travail. Si on dit qu’il prend environ 90 jours pour un employé avant d’ajouter de la valeur à une compagnie, un employé en formation continue dans les organisations apporte une plus-value inestimable aux entreprises.
On dit souvent que la génération Y est volage, mais notre expérience à travers Le Chiffre, et à plus grande échelle avec notre client GSOFT (un modèle d’inspiration), est que le taux de roulement des employés est très faible lorsque celle-ci est engagée. La génération qui entre sur le marché de l’emploi est beaucoup plus alignée sur la flexibilité et le bien-être au boulot que la rémunération pure et simple. Le temps des sacrifices familiaux, idéologiques et de bien-être personnel pour un plus grand salaire est révolu.
L’expérientiel
Les économies dynamiques s’éloignent de la commodité. L’interaction (ou l’expérience) entre le consommateur et le produit est l’endroit où les entreprises peuvent fidéliser et retenir leur clientèle. Dans les organisations, c’est la personne la plus proche de l’interaction qui est la mieux placée pour donner un service exceptionnel ou réfléchir à la façon dont le consommateur vivra son usage du produit. Un salarié heureux met du sien dans le produit final, créant le genre d’expérience que nous voulons pour le client.
L’expérimentation
Créer des environnements décentralisés permet le foisonnement des initiatives et de la créativité. En laissant plus de latitude aux individus et en augmentant les rapports informels entre les employés, on multiplie les chances d’arriver avec des approches novatrices face aux problèmes complexes qu’une entreprise rencontre.
La deuxième partie
En somme, l’environnement dynamique d’une économie robotisée demandera plus de décentralisation, et le meilleur moyen de s’assurer la performance d’unité décentralisée est son alignement avec l’entreprise, qui passe par le bien-être des employés. Évidemment, je ne suis que l’apôtre d’une philosophie axée sur le bonheur au travail. Je vous invite à suivre le blogue de Simon De Baene, président de GSOFT sur les Affaires, grand gourou en la matière.
Je vous en dirai plus dans la deuxième partie de ce texte. Vous pourrez aussi savoir comment je me suis fait apostropher par des nationalistes tahitiens, fiers homologues de mon oncle Vital.