Quand devrais-je m’incorporer?
Rédigé le 14 juin 2018
Une des questions que les travailleurs autonomes me posent le plus souvent, en tant que comptable, est celle-ci : quand devrais-je m’incorporer? Est-ce le temps pour moi de créer une société par actions? C’est une question complexe, qui demande de l’expérience et une bonne compréhension de la situation de l’entrepreneur pour y répondre. Cependant, voici les 7 questions que je pose à celui-ci avant de lui donner mon avis.
Connaissez-vous les frais et les obligations liées à une incorporation?
Les avantages d’une incorporation sont nombreux par rapport à la forme enregistrée ou la société en nom collectif. Cependant, il n’existe presque juste un seul inconvénient : la charge administrative liée à la création et le maintien d’une corporation.
- Les frais de constitution sont plus élevés. À moins qu’une entreprise n’ait qu’un seul actionnaire et une situation fiscale très simple, je déconseille de s’incorporer soi-même au coût minimal de 340$ (frais du registraire du Québec). Les prix chargés par les avocats pour une incorporation varient entre 750$ et 3500$. À noter que vous devriez profiter de l’occasion pour vous doter d’une bonne convention des actionnaires et des documents juridiques vous permettant d’opérer (convention de confidentialité, contrats d’emploi, contrats de vente, conditions d’utilisation en ligne de votre produit, etc.).
- Une société par actions demande une tenue de livres beaucoup plus serrée. Une société enregistrée peut très bien s’en tirer avec un fichier Excel comme celui-ci, avec une approche uniquement basée sur les résultats de l’entreprise (Ventes moins dépenses). Dans une compagnie, tous les mouvements d’argent doivent être expliqués, et la société a l’obligation de produire un bilan, en plus de l’état des résultats. Ceci demande une compréhension de la comptabilité beaucoup plus poussée, et souvent l’aide d’un professionnel. Vous pouvez multiplier par 3 le temps (ou l’argent!) passé à faire de la tenue de livres d’une forme juridique à l’autre.
- Les requis annuels demandent beaucoup plus de ressources. Vous devez produire des états financiers et des déclarations de revenus pour votre entreprise chaque année. Pour les déclarations de revenus, les prix sur le marché pour la récurrence annuelle passent de 500$ à 5000$. Tout dépend de la compétence de votre comptable, de son accréditation et de sa spécialisation. Évidemment, le niveau de services diffère aussi grandement d’un cabinet à l’autre, vérifiez si votre fin d’année comprend : un avis au lecteur pour vos états financiers, la production des formulaires de dividendes en fin d’année et de la planification fiscale. Si ces frais vous semblent exorbitants par rapport aux revenus anticipés, il est préférable de rester dans une forme juridique moins robuste que d’escamoter ces étapes ou de perdre son focus d’affaire à essayer de le faire soi-même. La compétence coûte cher, mais l’incompétence est encore plus dispendieuse.
« Inc. ou ne pas Inc.? », telle est la question que se pose notre très cher Olivier
Avez-vous validé les hypothèses de votre entreprise?
Avant de s’incorporer, il faut valider qu’il y a bien une entreprise qui viendra au jour des efforts mis par l’entrepreneur. Cette question s’applique surtout aux entrepreneurs en mode agile, mais il est inutile de se doter d’une forme juridique telle que l’incorporation lorsqu’on est encore en mode de test. Les dépenses sont admissibles et peuvent s’appliquer contre votre revenu personnel, même si vous ne faites pas un sou de ventes dans les deux premières années. Il est mieux de s’assurer une certaine traction du marché, surtout dans les nouvelles idées ou dans les projets d’entrepreneurs inexpérimentés, avant de s’incorporer. Il est toujours possible de le faire plus tard, lorsque nous aurons une entreprise qui génère des revenus.
Aurez-vous à demander des crédits d’impôt ou des subventions?
Si votre domaine dispose d’accès à des crédits d’impôts ou de subventions, celles-ci requièrent parfois une forme juridique incorporée. Consultez votre centre de développement local pour savoir ce qui s’offre à vous, et les conditions d’admissibilité pour accéder à ces mesures. À noter que la plupart des mesures fiscales demandent un seuil minimum de revenus, ou s’appliquent uniquement sur des salaires versés.
Générerez-vous des excédents monétaires importants?
L’incorporation débloque une multitude de stratégies fiscales qui permettent de mieux planifier son imposition et d’économiser. Les stratégies mises en place par les fiscalistes sont multiples : accès à la déduction pour le gain en capital, gel successoral, fractionnement du revenu, étalement du revenu, investissement dans d’autres compagnies à l’aide d’une compagnie de gestion, stratégies de placement et planification parentale.
Pour que ces stratégies puissent en valoir la peine, il faut d’abord générer plus d’argent dans l’entreprise qu’il ne vous en faut annuellement pour maintenir votre train de vie. De plus, il faudra couvrir les frais professionnels liés à de telles stratégies avec les économies d’impôt.
À tâtons, il est inutile de réfléchir à l’incorporation uniquement pour des stratégies fiscales si on ne génère pas 50 000$ d’excédent monétaire annuellement.
Prendrez-vous un risque financier important?
L’incorporation permet de minimiser le risque encouru par les actionnaires. Vous pouvez ainsi protéger vos actifs personnels d’une saisie en cas d’échec. Dès que vous prenez des risques d’affaires importants (ex. : grosse mise de fonds pour de la recherche et développement, grands achats de stocks et de matériels, investissements importants), il est préférable de s’incorporer.
Irez-vous chercher de l’investissement externe?
La société par actions amène une couche de crédibilité supplémentaire, mais protège aussi les investisseurs externes qui pourraient souhaiter se joindre à votre entreprise. Si vous souhaitez demander l’aide d’investisseurs privés, publics ou financer avec de la dette votre entreprise, l’incorporation est souhaitée.
Avez-vous des clients qui exigent l’incorporation?
Parfois, c’est aussi simple qu’un client qui exige que vous soyez incorporé pour travailler avec vous. C’est souvent vrai pour les consultants en informatique, de qui les clients veulent rester des clients, et non des employeurs.
Autre exemple, Apple Store exige que vous soyez incorporé pour mettre votre application sur son site. La décision devient bien simple.
N’oubliez pas qu’il existe également d’autres formes juridiques disponibles pour votre organisation. La coopérative et l’organisme à but non lucratif pourraient s’avérer un meilleur choix stratégique pour accomplir la mission de votre entreprise. À tout coup, les méandres administratifs, légaux et fiscaux font partie de l’apprentissage de l’entrepreneur; on s’éloigne de la valeur créée pour le client final, mais servez-vous de l’effet structurant de ces règles pour voir plus clair dans vos chiffres et dans les dangers liés à votre entreprise.